Généralement, on considère la dépression comme quelque chose de problématique, quelque chose à évacuer.
Mais est-ce toujours les cas ?
Je ne vais pas parler aujourd’hui des dépressions sévères et ou mélancolies profondes qui nécessitent des soins spécifiques, des médicaments. J’aimerais plutôt parler de la dépression telle que nous l’avons quasi tous connue : une phase, un passage nécessaire à traverser.
En fait, nous vivons dans un monde où les pressions sont multiples. Nos parents, nos amis, notre conjoint, notre employeur veulent que nous fassions ceci ou cela.
Et ce qu’ils veulent est parfois contradictoire entre eux ou opposé à ce que nous souhaitons nous-même…quand on sait ce que l’on veut.
Dans ce cas, il arrive que nous ayons envie de dire « Laissez-moi tranquille, je jette l’éponge, je ne vous écoute plus, je m’arrête, je pars sur une île déserte, j’ai besoin de savoir ce que moi je veux » .
La dé-pression est alors une manière de stopper les pressions. Un arrêt nécessaire pour faire le point. Parfois avec l’aide de quelqu’un.
Dans d’autres cas, la dépression accompagne un deuil. Nous avons perdu quelqu’un, ou notre travail… C’est la fin d’un amour, un projet tombe à l’eau, un rêve se meurt. Cela n’aurait aucun sens de faire comme si cette perte n’existait pas, comme si elle ne comptait pas pour nous.
Nous avons de bonnes raisons d’être triste, laminé, cassé… déprimé. Alors, faut-il faire bonne figure ? Montrer qu’on a du ressort ? Jouer les « winners » ? Se montrer pimpant ?
Un petit médoc… et hop, c’est passé ? Mais non… Ce serait s’éloigner de soi, se maquiller, se contenter d’un verni de bonne humeur. Craindre d‘être authentique
Parfois, cela vaut la peine d’aller voir comment d’autres cultures envisagent la dépression. Dans son livre « En Patagonie », Bruce Chatwin évoque les métaphores des indiens yaghan. Pour « dépression », ils utilisent le mot qui décrit la phase vulnérable au moment où le crabe se dépouille de sa vielle carcasse… et attend que la nouvelle se forme.Un moment de fragilité.
Cette métaphore, nous aide à accepter, à traverser la dépression, à voir comment elle peut nous faire grandir.
Mais cette métaphore est aussi un mode d’emploi pour l’entourage qui se sent impuissant ou impatient parfois. Inutile de dire « Allez, pousse-toi, relève-toi, va de l’avant… » la métamorphose n’ira pas plus vite. Par contre nous pouvons aider la personne déprimée en prenant soin d’elle, en accompagnant patiemment sa transformation.
Voilà plusieurs années que, chaque jeudi, Yvan se rend chez Sonia, prostituée. Depuis quelques mois, il est au courant de sa maladie et de sa mort annoncée; ils en ont déjà parlé ensemble.
Par un pluvieux dimanche après midi, Sonia et Yvan évoquent leur relation.
Documentaire audio (26:47) « Le client, la pute et la mort » diffusé sur RTBF – Radio 1 dans le cadre de l’émission Par Ouï Dire de Pascale Tison.
Réalisation: Vincent Magos – Montage: Malika El Barkani
J’avais réalisé ce documentaire dans le cadre d’un séminaire sur la sexualité masculine, peu abordée dans les textes psychanalytiques en comparaison avec la pléthore de ceux ceux qui traitent de la sexualité féminine.
Mon petit livre, « Résister à l’algocratie », initialement édité par Yapaka, est maintenant repris par les Editions Fabert et donc disponible en librairie dans toutes les librairies francophones (France, Suisse, Belgique,…) au modeste prix de 4.95€.
Argument : Après une extension des procédures, nous sommes aujourd’hui face aux algorithmes dont la puissance et l’autonomie va jusqu’à prendre des décisions sans intervention humaine ; c’est ce que l’on peut dénommer « l’algocratie ». Si la technique au service de l’humain est à valoriser, en considérer les dérives et les usages qui nous échappent s’impose prioritairement dans les métiers du soin et de l’éducation. Pour tous, les effets sont multiples dans les domaines de l’intimité, de la surveillance, de la capacité de juger, de l’effacement du tiers, des modifications relationnelles, du gommage de l’inconscient. Dans nos métiers, les algorithmes viennent modeler les pratiques professionnelles, les institutions et les modes de management sans compter ce qui a trait à la confidentialité.
Seule une approche pluridisciplinaire (droit, philosophie, sociologie, psychologie…) permet d’en saisir les enjeux et de réfléchir aux modes de résistances à lui opposer afin de maintenir l’humain, le vivant au cœur de nos sociétés, de nos pratiques.
J.K Rowlin, auteur des Harry Potter a été insultée et accusée de transphobie pour avoir ironisé : « les personnes qui ont leurs règles ? Je suis sûre qu’il y a un terme pour ces gens. Quelqu’un m’aide ? Feum? Famme? Feemm? ».
Elle s’est fait incendier, mais ajoutait quelques jours plus tard : « J’ai reçu tellement de menaces de mort que je pourrais en tapisser ma maison, mais je ne vais pas cesser de m’exprimer pour autant »
Moi, comme je suis un vieil hétérosexuel blanc (néanmoins déconstruit) mais soucieux de sa quiétude, je m’abstiendrai de poser la question : les humains avec une prostate, il doit bien y avoir un nom pour cela ?
J’ai quand même envie d’évoquer de trois choses :
Tout d’abord, je ne suis nullement intéressé par l’intimité qui se déroule derrière les portes des chambres à coucher et me soucie peu de comment les gens se dénomment. Je veux bien les suivre.
En tant que psychanalyste, je m’en préoccupe seulement quand on vient me voir parce que ça coince, parce que ça fait mal. Et cette souffrance, elle est toujours relationnelle, liée à notre rapport aux autres, à un autre.
J’aimerais parler d’un vieux type qui n’a pas de compte Instagram : Freud. Cet homme nous a expliqué que les humains étaient habités de la bi-sexualité psychique, que nous avons tous en nous une part de féminin et de masculin. L’idée est scandaleuse et difficile à supporter. S’y opposer, en avoir peur est le propre des homophobes (nous on est pas des tapettes), des machos (toutes des salopes), ou de celles qui haïssent les hommes (tous des violeurs). Bref, tous ceux qui n’aiment pas l’idée d’avoir une part d’autre en eux.
Mais Freud n’a fait qu’énoncer un concept. Depuis toujours, les cultures ont fait place à cette bi-sexualité.
Regardons, par exemple, ces hommes Wodaabe filmés par Werner Hertzog, avec en accompagnement musical, le voix du dernier castrat, Alessandro Morèschi, l’ange de Rome. Les anges, j’y reviendrai
Un autre vieux schnock, Lacan, nous parle du Réel. Le Réel, c’est aussi bien la mort que la solidité du pavé sur lequel on se casse la figure. Le Réel, il fait mal, il marque une limite, une frontière, celle entre le possible et l’impossible.
A certains moments, la douleur peut nous faire frôler le réel: la douleur de l’accouchement ou d’une prostate qui bloque la vessie, mais là, nous restons dans le domaine de la subjectivité.
De même, dans le registre de l’imaginaire, je peux m’imaginer enceint et une femme peut rêver d’avoir un pénis, mais à un certain point on en arrive au registre de l’impossible. Pour être trivial : j’ai beau me couper le pénis, mes chromosomes sexuels ne changeront pas. Aucune fluidité pour le Réel !
Mais ce qui est encore plus important avec le Réel, c’est que quand on essaye de le mettre sous le tapis on se casse la gueule dessus, il nous revient en pleine poire. Il ne se laisse JAMAIS évacuer.
D’où mon interrogation : tout l’énergie passée à discuter du sexe des anges, du genre des anges serait-elle liée à notre obstination à ne RIEN vouloir savoir des enjeux environnementaux et climatiques?…
Le Réel du vivant.
C’est un petit garçon. Il a 6 ans. // Il est à côté de la tombe de sa mère – juste un renflement de terre, cette tombe. Son visage – que j’ai flouté – est fermé, muet… Pourtant ce serait bien qu’il puisse parler un jour. Tout comme son père – s’il est vivant – ou son oncle, ou son cousin, l’amie de sa maman…
Comment parler de tout cela ?
Après la guerre 40-45, beaucoup de ceux qui sont revenus de l’horreur sont restés muets, n’ont rien dit de ce qu’ils avaient vécu, ils se sont parfois suicidés …
On a affirmé que ce qu’ils avaient à dire est indicible.
Je ne pense pas qu’il y ait des choses indicibles. Mais il y a parfois des choses irrecevables. Irrecevables parce que celui qui devrait les entendre n’y parvient pas, s’en détourne. Souvent sans le vouloir, d’ailleurs. Car il se sent coupable de ce qu’il n’a pas pu empêcher.
… Ce que nous n’avons pas pu ou voulu empêcher…
Alors, quand on a rencontré l’atrocité, quand on a été déchiré par elle, on a l’impression que l’humanité n’existe pas, que la trahison est là au coin de la rue et peut survenir à tout moment, qu’on ne peut donc faire confiance à personne. A personne, à personne, à personne.
C’est la raison pour laquelle, le premier soin est celui d’aider à retisser des liens. Des liens d’une humanité chaleureuse en sachant que cela prend du temps et en tenant compte de la pudeur… Avant les mots, c’est parfois un geste, un verre d’eau, une promenade, un silence partagé devant une fontaine qui coule. Des choses comme cela qui vont compter, qui vont tisser les liens.
Et plus tard, peuvent venir les mots. Car rien n’est innommable, c’est à nous les humains de parvenir à mettre des mots sur les choses, même quand il s’agit du pire. Sans quoi, ce pire se transforme ombre et ces ombres peuvent se transmettre de génération en génération.
Mais il faut laisser aux mots le temps de trouver leur chemin, se garder de toute curiosité. Parfois, pour exorciser l’horreur, nous voulons la rencontrer, nous laisser fasciner par elle, poser des questions, connaître les détails.
Gardons-nous en.
Freud nous invite au tact. C’est un mot que j’aime bien car il donne une image à notre attitude. C’est notre regard, notre intonation qui peut être la main posée sur un bras. Le tact, se laisser toucher par l’autre.
Alors, quand nous rencontrerons cet enfant nous devrons accepter notre impuissance. Notre impuissance de ne pas arriver à le consoler rapidement et s’il est triste, s’il fait des cauchemars ou s’il est nerveux, nous lui expliquerons que dans des situations similaires d’autres enfants ont éprouvé les mêmes choses, les mêmes sentiments mais qu’avec le temps et l’accompagnement, peu à peu ils se sont sentis mieux.
Un jour peut-être va-t-il dessiner un rectangle et une croix, évitons d’interpréter, il suffit de comprendre ce dont il parle et de dire « C’est dur ce que tu as vécu… Tu peux en parler… quand tu veux »
Peut-être viendra-t-il se blottir dans nos bras ou ira-t-il jouer dans son coin, ou en dira-t-il quelque chose ce jour là… ou quelques semaines, quelques mois plus tard.
N’oublions pas qu’en français « mettre à la question » veut dire torturer, il nous suffit d’être à l’écoute et de savoir que nos oreilles seront blessées le jour où viendra le récit.
Cet enfant, ces enfants, ces femmes et ces hommes, je ne leur souhaite pas de rencontrer un psy, mais juste quelqu’un d’attentif et de chaleureux.