Nous avons tous entendu parler des tortures, viols, meurtres… dans l’Allemagne nazie, en ex-yougoslavie, au Rwanda, en Ukraine…
Et nous nous sommes demandé Comment est-ce possible ? Est-ce que moi aussi je pourrais basculer là dedans ? Devenir tortionnaire ?
[GENERIQUE]
Je ne vais pas parler des personnalités extrêmes, des sadiques, des pervers mais plutôt essayer de comprendre comment des « braves gens », des gens comme vous et moi, peuvent en arriver à assassiner leur voisin, des enfants, des civils ?
Si l’on y pense bien, nous avons tous eu envie un jour ou l’autre de voler un baiser, de chaparder dans un magasin, de taper dans la carrosserie de notre voisin bruyant, d’égorger notre patron… Et nous ne le faisons pas.
Nous avons tous vu ces enfants insupportables qui veulent tout tout de suite. Nous avons été ces enfants là. Mais nous avons été civilisés par nos parents, par l’école, par ce que nous avons appris des générations antérieures, par le climat social…
L’animal sauvage a été domestiqué. Nos pulsions se sont canalisées.
Mais l’équilibre est fragile et il nous arrive de devoir nous retenir pour ne pas « faire un malheur ». Pour de nombreux actes, nous hésitons, il y a un dialogue, un débat, parfois un conflit entre les différentes parties qui sont en nous. Que faire ? Quelle décision prendre, en fonction de mes désirs tout en sachant que je ne suis pas seul au monde ?
Eh oui, il me faut bien vivre AVEC les autres et les autres peuvent avoir un avis AUTRE.
Ah, les autres…
Justement, nous pouvons faire un parallèle entre notre fonctionnement intérieur et notre fonctionnement social.
Un environnement démocratique supporte, organise une conflictualité entre une pluralité de tendances, entre différents partis, entre les multiples divisions du corps social.
Pour aboutir à une décision, à un acte, toute une série d’étapes, de discussions, de débats sont nécessaires : des propositions de lois sont discutées, amendées avant d’être votées et mises en œuvre…
Cette conflictualité sociale correspond et nourrit notre conflictualité intérieure. On pourrait dire que plus une société est démocratique, plus elle soutient les débats intérieurs de ses citoyens et les aide à ne pas être aux prises avec leurs pulsions.
A l’inverse, un régime totalitaire avec son chef ou son parti unique va directement du despote à l’acte. Sans débats, sans étapes intermédiaires. Pas d’autre parti, pas de séparation des pouvoirs, pas de presse libre, pas de manifestation. Fini les controverses sociales, scientifique , artistiques. La mémoire est oblitérée, l’histoire nationale falsifiée. Rien à voir, circulez ! Pire, le Mal peut être déclaré Bien.
Alors, privées de stimulations, nos médiations intérieures s’appauvrissent, notre appareil psychique devient inerte, et les pulsions se déchaînent.
L’homme devient pulsionnel d’autant plus qu’il est apprécié quand s’abandonne à ses pulsions de destruction. On a pu voir Poutine décorer décorer la brigade responsable des cruautés à Boucha,
Ce mouvement est accéléré par la présence d’un chef charismatique et un climat saturée d’affectivité où il y a NOUS, les bons, les purs, les vrais hommes… contre les mauvais qui selon le récit sont les juifs, les musulmans, les ukrainiens, les étrangers, les dégénérés…
A cela, s’ajoute les réseaux sociaux où se déversent venins et fake news… Du kérosène sur le feu.
Ce qui relevait du conflit interne au sein de chacun et, en parallèle au sein d’une société démocratique s’externalise. L’ennemi est à l’extérieur et ce qui était conflit intérieur devient guerre, jouissance de haine.
Le sentiment de culpabilité, relégué dans les profondeurs, ronge en silence pour n’émerger parfois que bien des années ou générations plus tard.
Une fois que l’on a pu comprendre le parallèle entre notre fonctionnement psychique et celui d’une société démocratique, on comprend mieux à quel point ce fonctionnement est fragile et pourquoi il dépend de chaque citoyen de le préserver, de se refuser à laisser parler sa haine à haute voix.
Mais cela laisse aussi entrevoir les dangers d’une société ultralibérale dans laquelle il est également question d’oppression. J’en parlerai dans une autre vidéo.
Cette vidéo est largement inspirée du livre de Guy Laval « Bourreaux ordinaires » (PUF, Paris, 2002), dont on trouve un résumé en libre accès dans l’article « Psychanalyse du meurtre totalitaire » – Guy Laval (Cahiers de psychologie clinique 2004/1 (n° 22), pages 71 à 97)