On traite Poutine de paranoïaque. Qu’est ce que ce diagnostic signifierait et quelles en seraient les conséquences ?
En fait, nous ne faisons jamais de diagnostic à distance concernant une personne que nous n’avons pas pu rencontrer. Et comme vous vous l’imaginez, je ne n’ai pas rencontré Monsieur Poutine.
Mais essayons d’avancer quand même. Il faut savoir qu’il y a un continuum entre normal et pathologique. On est pas soit l’un soit l’autre. Nous sommes tous un peu troublés, parfois plus, et parfois très fort.
Et si l’on prend la paranoïa, un de ses traits majeurs est la méfiance. Nous avons tous de bonnes raisons de nous méfier un peu, c’est pourquoi dans une grande ville contemporaine, nous ne laissons pas notre portefeuille sans surveillance. Car oui, il y a des voleurs.
D’autres se méfient nettement plus. Ils trouveront à exercer leur méfiance dans des métiers qui exigent ce trait de caractère : agent secret, contrôleur fiscal, juge, inspecteur de police, etc.. D’autres, se lanceront dans des passions comme le font les complotistes.
Mais parfois cela prend des proportions fanatiques, délirantes, totalement hors réalité. Et s’il n’arrive pas à convaincre son entourage, le paranoïaque sera parfois amené à s’isoler car son égo est sur dimensionné, il se drapera dans son orgueil : « j’ai la vérité, j’ai découvert ceci ou cela mais personne ne veut me croire » Le paranoïaque n’a aucun doute de son interprétation du monde et va engranger toute nouvelle information dans le sens de cette vision.
S’il est persuadé que ses voisins lui veulent du mal, on l’entendra dire « A 22h05, ils ont claqué la porte, ils savent que je vais me coucher tous les soirs à 22h00. // Vous voyez, il est venu se garer devant chez moi, il veut me provoquer. » etc. Le moindre signe est interprété dans le sens du délire.
Et comme le paranoïaque ne doute aucunement de lui et peut parfois être très intelligent, il va passer un temps fou à rassembler des éléments ou un dossier qui aura une cohérence interne et viendra conforter SA vision du monde. « Avec toutes ces preuves, vous voyez bien que j’ai raison ! » Mais les « preuves » ne sont qu’une immenses somme d’arguments agencés d’une certaine manière. D’une manière qui est indiscutable pour lui.
Car aucun autre argument ne va faire changer d’avis un paranoïaque. C’est peine perdue que d’essayer d’être rationnel. « Si vous me dites que la terre n’est PAS plate, c’est que vous faites partie du complot, idem si voulez me faire croire que ce n’est pas la franc-maçonnerie ou les pédophiles qui dirigent le monde. »
Bref, Il n’y a pas moyen de discuter avec un paranoïaque. Le plus confortable c’est de l’éviter et j’irais jusqu’à dire le fuir si vous êtes pris pour le mauvais objet, pris pour cible. Le conjoint, le voisin, le collègue en ligne de mire du paranoïaque vit un enfer, d’où l’idée de fuir plutôt que d’essayer d’argumenter.
D’autant qu’en plein délire, le paranoïaque peut devenir dangereux parfois pour lui-même mais plutôt pour les autres, jusqu’à aller à l’homicide.
Comme il ne se remet jamais en question le paranoïaque ne va PAS consulter. Sa souffrance n’est pas vécue comme intérieure, c’est les autres qui le persécutent. S’il s’enfonce dans son délire il peut devenir dangereux. Pour être stoppé, le paranoïaque sera hospitalisé sous contrainte ou emprisonné… quand il est trop tard.
Alors, revenons à la question de départ : Poutine, paranoïaque ?
Comme je l’ai dit : pas de diagnostic. D’autant qu’il n’y a pas un homme seul devant un bouton – ca c’est un fantasme d’enfant. Depuis le gradé qui donne l’ordre de lancer un missile jusqu’au soldat qui tire sur un civil désarmé nous sommes face à de nombreuses responsabilités individuelles qui devront rendre des comptes un jour.
Plutôt que de voir un paranoïaque, ce serait plus juste de parler d’un système paranoïde. Et tout système implique un minimum d’hétérogénéité, donc d’interstices.
Ou pour donner une image, on pourrait parler d’une vaste machine aux nombreux rouages dans lesquels peuvent donc se glisser une multitude de grains de sables.
Et ces grains de sable, bien sûr c’est la résistance ukrainienne ou les sanctions mais c’est aussi la foule d’initiatives personnelles : ceux qui démissionnent ou désertent ou protestent: nous avons tous vu le courage extraordinaire de Marina Ovsiannikovaqui interrompt le journal télévisé, mais il y a d’autres citoyens comme cette femme qui se fait arrêter parce qu’elle présente une simple page blanche.
Dernier exemple: Squad303, un groupe d’Anonymous polonais qui a créé un système permettant à n’importe qui dans le monde d’envoyer un mail, un texto, un WhatsApp à un Russe tiré au hasard ou même de lui téléphoner. Des messages que nous pouvons personnaliser.
Je vous laisse leur adresse : 1920.in
[MAJ 26/03/22] Complément: Desk-Russie publie un entretien avec Roman Ketchour, président de la Confédération ukrainienne des thérapies psychanalytiques,